Un bourdon breton vers Compostelle : Interview de Jean-Marc Ferrand, président des associations bretonnes des amis de Saint Jacques et de Pierre-Yves Unguran, un des responsables du projet du bourdon breton.

Jean-Marc, les associations jacquaires sont particulièrement dynamiques en Bretagne. On parle de 2000 adhérents ?
Oui, les associations bretonnes ont fêté, il y a quelques mois, leur deux millième membre. Malgré ce chiffre, il y a eu, ces deux dernières années, un net fléchissement de la participation et nous avons senti que nos adhérents avaient besoin d’une nouvelle impulsion.
Le réseau des chemins de Saint Jacques en Bretagne est dense et bien desservi. Comment cela s’explique t-il ?
On doit être reconnaissant envers ceux qui nous ont précédés. C’est en 1996 qu’a été créée l’association bretonne des amis de St Jacques. Les responsables de l’époque ont tout de suite cherché à effectuer un maillage de chemins dans toute la Bretagne. Ils ont d’abord sélectionné les villages qui avaient un monument ou une statue de Saint Jacques avec un point d’eau ou une fontaine pour se désaltérer. Beaucoup de chemins d’origine empruntaient les anciennes voies romaines. Ainsi, petit à petit, ont été reconstitués les chemins bretons antiques. Ce fut à la fois un travail de recherche historique et d’actions de terrain. Les départements ont, eux aussi, joué le jeu en restaurant les sentiers et en les balisant. Quant aux hébergements, ils se font aujourd’hui au sein des maisons, dans des familles. On peut dire qu’il y a des possibilités d’accueil au minimum tous les 25 kilomètres.
Comment a germé l’idée de faire voyager un bourdon breton d’un Finisterre (français) à un autre Finisterre (espagnol) ?
Lors de l’été 2021, mon collègue Yves et moi, nous marchions sur le chemin d’Arles, cherchant un moyen de redynamiser notre association, après deux années de COVID. C’est là que l’idée s’est précisée.
Il y a une tradition bien vivace : chaque année jacquaire, des bourdons se transmettent de marcheur à marcheur, tels des relais, jusqu’à l’arrivée à Santiago. Nous avons voulu nous inscrire dans cette tradition. Un bourdon partant de Bretagne, et qui traverse la Vendée, la côte atlantique française jusqu’à Compostelle, portant toutes les intentions des pèlerins, voilà un bel objectif ! L’idée a eu un fort impact ; la symbolique a été très bien perçue par les centaines de marcheurs qui se sont appropriés la démarche avec beaucoup de sérieux, de fierté et, souvent, d’émotion…
Tous les pèlerins bretons n’ont pas marché jusqu’à Santiago, n’est ce pas ?
Non, bien sûr. Seuls quelques pèlerins ont fait la totalité du chemin. D’autres en ont fait la moitié, d’autres ont cheminé quelques jours.
En résumé, il y a eu trois épisodes.
- La partie bretonne : il s’agissait de remobiliser tous les membres des associations des cinq départements bretons. Début juillet, 8 bourdons témoins (petits bâtons), sculptés par des artisans locaux, sont partis de 8 points différents de Bretagne. A chaque départ, ils ont été bénis par un prêtre. Le 24 juillet, veille de la Saint Jacques, tous les marcheurs se sont retrouvés à Blain, lieu de convergence de tous les chemins bretons. Le lendemain une messe a été célébrée, suivie par cent cinquante personnes.
- L’« Arc Atlantique » : ensuite, les marcheurs avec le grand bourdon ont sillonné les départements de la côte : Vendée, Charente Maritime, Gironde, Landes, Pyrénées Atlantique. Nous avions collaboré à l’époque avec ces départements pour le balisage de la voie de Tours, ce qui a facilité la coordination. Les « atlantiques » ont participé activement à l’opération en s’impliquant dans les relais et en accueillant les pèlerins.
- L’épisode espagnol : en Espagne, les associations de pèlerins sont peu nombreuses. Nous devions avertir de notre passage les villages et les responsables des hébergements et la transmission du bourdon se faisait souvent dans les refuges, le soir.
Finalement, les marcheurs avec le bourdon sont arrivés le 2 octobre à Compostelle, soit deux mois et demi après leur départ, à l’issu d’un périple de 1958 kilomètres.
On a beaucoup parlé de l’originalité de ce bourdon breton. Qu’avait-il de si spécial ?
Oui, je peux dire que ce bâton est une véritable œuvre d’art. Il a été sculpté spécialement pour l’occasion par un ébéniste, artisan d’art, dans une branche de hêtre, d’après des gravures du Moyen-âge. Le sculpteur a pris soin d’intégrer, à l’intérieur, une cavité, qui a été remplie de terre de Bretagne, qui sera mélangée plus tard avec de la terre de Galice. En tête du bâton, la sculpture d’une coquille puis celle de l’apôtre Jacques.
Pouvez-vous nous raconter l’arrivée à Compostelle, quand vous parvenez au but, après tant de semaines sur le Camino et que la troupe de choristes vous rejoint ?
Quand tous ces pèlerins, de plusieurs nationalités, qui ont accompagné le bourdon, se sont retrouvés sur la Place de la cathédrale, des larmes ont coulé, au milieu des cris de joie et des embrassades, mais, au-delà de l’émotion, nous éprouvions tous un immense plaisir d’avoir mené à bon port ce bâton, avec les intentions que nous avaient confiées des centaines de personnes.

Nos organisateurs ont ensuite été reçus par les bénévoles de l’accueil francophone. Dans la cathédrale, à l’acoustique excellente, quand les voix des chanteurs du chœur breton Mouez ar Jakez, ont résonné sous les voutes de Saint Jacques, la basilique s’est emplie de silence, créant une atmosphère recueillie, solennelle. Et pour finir en beauté, nous avons eu droit au cérémonial du « Botafumeiro », l’encensoir géant, actionné par huit « tirabuleiros » qui s’est élevé à plus de vingt mètres, rendant ce moment inoubliable.
Le soir, c’est dans l’église Santo Domingo de Bonaval que s’est tenu le concert de la chorale, qu’ont applaudie les 200 personnes présentes. La journée s’est terminée par le verre de l’amitié et la dégustation de la « tarta de Santiago » au milieu du parc proche de l’église.
Le lendemain, direction Fisterra, ultime étape du bourdon. Sur le sentier qui mène au phare, la chorale s’est arrêtée dans l’église du bord de route et a entonné les chants du répertoire breton et médiéval. En peu de temps, le lieu s’est rempli de pèlerins de passage. Arrivés au kilomètre zéro, sur la falaise, avec l’océan à perte de vue, nous avons mis un point final à l’aventure jacquaire en déposant un peu de terre bretonne sur le sol Galicien.
Jean-Marc, tout s’est donc bien déroulé du début à la fin ?
J’ai peur d’avoir donné l’impression que tout était facile et simple. En fait, ce n’est pas le cas. Il a fallu franchir de nombreuses barrières, notamment administratives. Santiago est un lieu de grosse affluence et donc sous très haute sécurité.
Par exemple, l’animation de la grand’messe à la cathédrale, que nous avions longtemps préparée, a bien failli ne jamais avoir lieu. Cinq minutes avant l’office, nous avons été refoulés par les services de sécurité qui n’avaient pas été informés de notre présence. Heureusement, le Doyen de la cathédrale a débloqué la situation in extremis. De même, pour le concert du soir, qui est resté incertain jusqu’au dernier moment. Mais Pierre-Yves, qui a cheminé tout le long des 2000 kilomètres, a certainement bien des choses à vous raconter.

Pierre-Yves, vous qui avez été un des gardiens du bourdon pendant tout ce périple, quels épisodes marquants pourriez vous nous relater ?
Oui, il y a eu des moments difficiles. Fin juillet, quand nous arrivons en Gironde sous un soleil torride, on nous annonce que toutes les voies jacquaires sont fermées. Des incendies avaient surgi dans toute la région, à Landiras, à la Teste du Buch, autour du bassin d’Arcachon, du lac de Cazaux et dans les Landes. Il y avait un risque de feu couvant sous la terre qui pouvait réémerger à tout moment. Notre marche a été interrompue et nous avons dû contourner les régions à risques.
Une autre fois, en Espagne, nous avons cru vivre la fin de l’aventure. Sur le Camino Frances, nous avions l’habitude d’accueillir le dernier marcheur et le bourdon en fin de journée dans un gite précis dont nous avions communiqué l’adresse au préalable. Ce soir-là, pas de relayeur, pas de bourdon, pas de réponse à nos appels, téléphone muet. Dehors, une pluie torrentielle, un temps épouvantable. Les heures passaient, toujours pas de pèlerin. Vers deux heures du matin, le voilà qui arrive, trempé, la jambe ensanglantée. « J’ai perdu le bourdon !» nous dit-il. Et il nous raconte que, pour éviter une voiture qui roulait plein phare, il s’était jeté dans un fossé, se blessant, cassant son portable et laissant échapper le précieux bâton en contrebas…que nous avons finalement retrouvé après maintes recherches sous une pluie battante. On en rigole aujourd’hui !
D’autres anecdotes intéressantes ?
Des images fortes restent accrochées à ma mémoire. A Moguériec, le bourdon est arrivé dans un panier de pêche, au son du biniou et de la bombarde. A Locquirec, le bâton a voyagé en barque en souvenir du corps de saint Jacques, arrivé par la mer et pour rappeler la tradition des pèlerinages maritimes. A Saint-Pol-de-Léon, les pèlerins ont grimpé tout en haut de la flèche et actionné la grosse cloche de la cathédrale, appelée le « Jacques ». Beaux souvenirs !
Mais en tout premier lieu, je retiendrais surtout l’esprit de fraternité autour de nous qui nous stimulait constamment. Chaque jour, nous avons été portés par l’enthousiasme de ces marcheurs de toutes nationalités qui se sont joints au projet, dans un bel élan.
Un mot de conclusion, président ?
Le seul mot que je voudrais prononcer c’est merci ! Merci tout d’abord à tous les bénévoles, toutes ces personnes généreuses, désintéressées, et ces anonymes, qui, tout au long du chemin, nous ont accompagnés, encouragés, sans lesquels rien n’aurait été possible. Merci aussi à Rosa, animatrice de radio, à Don Lisardo de l’archevêché de Santiago, à Louisa de San Martin Pinario, au père Blot, aux accueillants de Webcompostella pour leur aide, à l’équipe technique, aux médias de l’association, etc.
Et à bientôt, au hasard des chemins !
Ultreïa !
Interview par Michel Gout pour Webcompostella
* Un bourdon breton vers Compostelle.


