« Je pars, je ne pars pas… » Tous les ans, je prévoyais une marche vers Compostelle, mais tous les ans, je reportais le projet. Mais, un jour….Laisse-moi te raconter l’histoire étonnante de mon départ.
Chez nous, dans notre jardin de Langstone, il y a un petit pont qui enjambe une rivière, je dirais plutôt un ruisseau, bien que, sur les cartes, il figure comme le canal principal du village. Nous vivons près de la mer et la rivière coule vers le port qui se situe environ à un kilomètre et demi de notre maison. Ce lieu est peuplé de mouettes ainsi que de colverts, de poules d’eau, d’aigrettes, parfois de hérons. Souvent, un martin pêcheur se pose sur le pont, observe le ruisseau en quête de nourriture, plonge, puis s’envole vers l’amont de la rivière. Comme tu peux l’imaginer, c’est quelque chose de très reposant de se tenir sur ce ponceau en contemplant toute cette activité de la nature.
Or, un jour d’été 2018, j’étais debout sur le pont, m’interrogeant pour la énième fois sur l’opportunité d’un pèlerinage lorsque, là, juste au milieu, en dessous, près de l’arche, tournant les yeux vers moi, je vis une coquille Saint Jacques de très grande taille, qui se détachait dans la clarté de l’eau. Pour quelqu’un dont les pensées du moment étaient absorbées par le projet Camino, cela ressemblait fort à ce qu’on appelle communément un signe… envoyé par quelqu’un pour confirmer que vous devez faire ce à quoi vous pensez à ce moment là.

J’étais quand même étonné. Bien sûr, nous vivons près de la mer, mais il n’y avait aucune raison pour qu’une coquille Saint Jacques (d’une telle taille en plus) se trouve là dans notre ruisseau. Pas possible qu’une mouette l’ait lâchée en vol, elle était trop grande. Par ailleurs, le ruisseau coule en direction de la mer, alors, comment une coquille pourrait-elle remonter le courant jusqu’ici ? Puis je me ravisai : peut-être, après tout, un enfant l’a-t-il lancée chez nous en jouant, ou bien des promeneurs, en amont, s’en sont-ils débarrassé ? Bref, je l’attrapai avec mon épuisette, la plaçai dans un parterre de fleurs en guise d’ornement et j’oubliai l’évènement.
Les porteurs de message, comme les facteurs, sonnent toujours deux fois. Peu de temps après, je me mis en devoir de démolir un petit mur fissuré qui séparait deux espaces dans la maison. Ces murs d’autrefois, faits d’un mélange de pierres, d’argile, de torchis et de matériaux divers, sont peu solides. En effet, au premier coup de masse, le pan entier s’effondra dans un nuage de poussière rouge et grise. De la terre crue, des galets, jonchaient le sol, mais mon regard fut attiré par autre chose. Là, au beau milieu des gravats, gisant parmi le mortier de terre et les pierres, une coquille Saint Jacques me faisait face, intacte. Les anciens avaient dû l’utiliser à l’instar des cailloux, comme matériau pour solidifier le mur.
Inutile de te dire quel effet ce deuxième signe a eu sur moi. Je ramassai la coque et courus à l’étage la mettre en lieu sûr, puis dévalai l’escalier et filai jusqu’au parterre de fleurs du jardin. La coquille du ruisseau était toujours là mais je m’aperçus qu’il y avait maintenant un trou à l’intérieur, assez grand pour le passage d’une ficelle. Quelque temps après, je la fixai sur mon sac et pris la route de Santiago avec cette grosse conque sur mon dos, ce qui ne manquait pas de provoquer les commentaires des autres marcheurs et me donnait parfois l’occasion de conter la belle histoire de mon départ sur les chemins et celle, plus étrange, de ces deux coquilles, mystérieuses, comme tombées du ciel.
Michel Gout : Traduction du témoignage de Jonathan, compagnon de marche anglais, rencontré à « Las Herrerias » en 2019.