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L’habit ne fait pas le moine (ni le pèlerin)

17 février 2023 | En chemin, Rencontres

Un homme, en bure monacale n’est pas forcément un moine, mais un individu avec sac et bâton est-il toujours un pèlerin ? Au moment d’écrire sur le sujet, quatre petites histoires  reviennent à ma mémoire. 

Charles Henri, dans son atelier d’ébéniste de Saint Jean Pied-de-Port, est un des derniers fabricants de bourdons en France. Il nous racontait qu’un jour, il vit s’approcher de son atelier un gars dans un manteau trop grand, déteint par les intempéries, chaussé de croquenots : 

Sur le palier, je le vois qui époussette son pantalon, boutonne sa chemise avant d’entrer, puis il pousse la porte et me dit qu’il cherche un vrai bourdon de pèlerin. Je l’accueille, lui présente nos modèles, lui donne quelques explications sur leur fabrication. Mis en confiance, il m’avoue qu’il est SDF, qu’il vient de faire 400 kilomètres à pied pour s’en procurer un. Je suis intrigué : mais pourquoi donc un bourdon ? Il me répond : « c’est tout simple, quand j’arrive dans un village, les gens m’envoient les gendarmes. Avec mon bourdon, ils m’invitent chez eux ! ».

L’homme avait compris que le bâton pouvait lui ouvrir des portes. Avec lui, le regard des gens changeait, il devenait respectable. Il pouvait en user pour susciter la compassion. 

Vrai pèlerin ou faux jacquet ? Les histoires ne manquent pas. L’automne dernier j’étais à l’accueil francophone de Santiago. En bas, dans la rua das Carretas, un marcheur s’avance vers moi.  L’homme présentait bien : cape, chapeau, bâtons de marche clouté, sac à dos avec coquille. Il m’explique qu’il avait perdu ses papiers et qu’il lui manquait vingt euros pour prendre le bus et rentrer en France. Plus tard dans la journée, il rencontre Nicole, ma collègue de l’accueil. Son boniment avait changé – on lui avait volé sa carte bleue, il devait prendre l’avion le lendemain – mais il lui manquait toujours vingt euros. Je me tourne vers ma consœur : 

– « Nicole, ce type n’est pas clair ». 

– « On s’est fait “embobiner” » ! me dit-elle. Elle avait raison. Mais il était déjà loin : l’homme, avec sa panoplie de jacquet, était un vrai pro de l’arnaque. 

L’habit est souvent trompeur, et le Chemin nous l’enseigne parfois à nos dépens. 

On était au mois de mai et dans la descente vers Triacastela, je venais de passer le monastère de Samos, couronné de nuages. Devant moi, dans un semi brouillard, une silhouette le long de la route. Je pressai le pas et la rattrapai. Vêtue de noir, de bas en haut, une mantille à l’arrière de la tête, elle portait une tunique noire en laine très serrée, longue jusqu’au sol qui la faisait ressembler plus à un berger tyrolien qu’à une marcheuse. Je pensais au fond de moi : « quel accoutrement ! Cette femme en noir, tirée à quatre épingles, c’est sûr, n’est pas une vraie pèlerine ! ». Puis nous cheminons, parlons. C’était une américaine, elle s’appelait Victoria. Après quelque temps, elle m’apprend qu’elle venait de perdre son mari. Elle l’avait veillé longtemps à son chevet, puis était partie depuis plusieurs mois sur le chemin pour faire son deuil. D’où ses vêtements. Mes préjugés avaient failli gâcher la rencontre. Honte à moi ! 

Mais la leçon a porté. Souvent, quand ma machine à juger s’emballe, je pense à Victoria

Et puis, il y a ces marcheurs permanents. Parfois, on les rencontre. Ils vont au gré du vent, dormant à la belle étoile ou sous le portique de quelque église. 

Un jour, dans le gite de Revel, nous avons hésité avant d’accueillir Rainer, gaillard aux vêtements usés, des traits de bûcheron du Moyen-âge, barbe volumineuse. Pèlerin ou vagabond ? Difficile à dire. Mais au cours de la soirée, nous avons découvert un homme habité par la foi et l’amour de Dieu. Parti il y a 15 ans d’Allemagne, il sillonnait les chemins monastiques, donnant un coup de main ici, hospitalier là-bas, cuisinant dans les gites, repartant le lendemain. Ce soir-là, il s’était joint à nos chants, reprenant en chœur toutes nos chansons françaises. 

L’Histoire pérégrine est peuplée de ces nomades itinérants qui, de leur vivant, ont été chassés, bannis par leurs contemporains à cause de leur apparence et qui, après leur mort, furent célébrés. On pense au poverello d’Assise qui, allant pieds nus, était traité de pazzo (le fou), à Benoit Labre, mendiant clochard à Compostelle, moqué et poursuivi par les enfants, à Séraphin de Sarov, qui se nourrissait d’herbes sauvages, etc. 

Peut-être avons-nous croisé un jour de ces marginaux, mendiant leur pain avec, dans leur regard, quelque chose de doux ? Gardons nous de les juger car, sous leurs habits de misère, peuvent se cacher, non pas des princes comme dans les contes, mais des saints.  

Michel Gout

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