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L’homme qui ressuscita les chemins de Santiago

24 avril 2023 | En chemin, Témoignages

Difficile aujourd’hui de se représenter le Camino Frances du début des années soixante. C’est une friche. Déserte. Le maquis est partout. En montagne, la forêt ou la lande ont reconquis le terrain. En plaine, des  fermiers ont annexé des anciennes voies. Pas un chat sur les sentiers.  En 1973, l’Oficina Peregrino a recensé trente sept pèlerins arrivés à Santiago dans toute l’année ! Pour l’année sainte 1976, deux cent quarante trois et en 1978, douze !! Quant aux autres tracés (Primitivo et El Norte) ils sont oubliés depuis des lustres. 

Or, c’est dans un hameau de montagne que tout va recommencer. 

Il faut imaginer O Cebreiro en 1960. Neuf familles y vivent dans des huttes de chaume, sans eau, ni électricité, ni soins médicaux. Le diocèse veut y envoyer un religieux. Mais qui veut aller s’enterrer dans ce patelin à mille mètres d’altitude ? Trois prêtres refusent. Trop aride, trop pauvre, trop isolé. Un quatrième accepte. C’est le jeune Don Elias Valina Sampedro. Les débuts sont difficiles. Il raconte : « Quand je suis arrivé là,
j’ai trouvé plus qu’un village, un tas de décombres rongés par la misère ».
Pourtant, O Cebreiro a été le théâtre d’un miracle au Moyen-âge.
Lors d’une messe, l’hostie et le vin du calice se seraient transformés en chair et en sang.
Qui s’en souvient, qui en parle  encore ? Dans ce milieu du XX° siècle, rationaliste,
on a classé l’affaire. Encore des légendes, des contes…

Le jeune padre a du courage. Mais que peut faire un homme seul, sans argent ni soutien ? La foi, dit-on, déplace les montagnes. Aussitôt arrivé, il se rend dans les bibliothèques de la région, se plonge dans les
registres paroissiaux, épluche les vieux carnets de route des anciens pèlerins. Après quoi,
il rédige une thèse et devient un vrai érudit de Compostelle.

Et, plus ses connaissances augmentent,
plus il ressent comme un appel. Il doit aller maintenant
vers les gens, les entrainer à sa suite. 

Les gens, dans les Monts Cantabriques, ce sont des bergers. Leur vie est rude. Ici, on vit chichement, on a quelques moutons, peut être une vache. La terre est sèche, et puis il faut s’armer contre le gel d’hiver, les inondations. Existences étroites, sans perspective…Mais voilà qu’arrive le fougueux prédicateur. « La terre de vos pères est sainte » leur dit-il « Mille ans ! Pendant mille ans, des masses de croyants ont  foulé votre sol. Regardez-le aujourd’hui. Un désert ! Alors, qu’attendons-nous encore pour le faire revivre ? ». Ces paroles touchaient le cœur de ces paysans. Elles les réveillaient, élargissaient l’espace de leurs vies. Rouvrir les chemins de Saint Jacques, c’était un peu comme bâtir une cathédrale ! Alors, on s’emballait, on se mettait à le suivre. Et, de Las Herrerias, de Ruitelan, de Villafranca et même de Pieros, toute une main d’œuvre locale se mit à grimper jusqu’à O Cebreiro. On rebâtit d’abord une auberge de pèlerins, puis des maisons, une place, puis enfin, le monastère antique et son église. 

Mais dans les années soixante dix, l’histoire prit une autre dimension. Un habitant du village raconte : « Moi, à ce moment-là, je travaillais dans les Travaux Publics et puis, il a eu cette lubie qu’on lui fasse cadeau de pots de peinture jaune, une  peinture qui résiste bien aux intempéries, et c’est comme ça qu’il a commencé à baliser le chemin ». Un autre explique : « On le vit partir, plusieurs fois par semaine, dans sa vieille Citroën GS, la malle remplie de pots de peinture. Il prenait toujours deux ou trois collègues ou des enfants de chœur, quelques haches et des pinceaux ». Il constitue des équipes, les répartit le long du chemin. « Lui, il  venait peindre avec nous, plus exactement, il venait nous mettre en mouvement, puis il partait déjà en mettre d’autres en mouvement ». 

Un jour, il se trouve dans les Pyrénées avec ses acolytes, il tient un pot de peinture jaune d’une main, un pinceau de l’autre. Surgit un fourgon de police. La guardia civil en Pays basque, ça ne rigole pas.  

– « Vos papiers s’il vous plait ! Que faites-vous ici ? »

Le curé essaie une boutade : « Vous ne le voyez pas ? Nous préparons une invasion ».

Pas de veine, le brigadier manque totalement d’humour. 

– « Laissez le véhicule et suivez-nous ». Et ils sont embarqués manu militari dans le fourgon.  Après des heures de palabres et un coup de fil à l’évêque de Galice (« Nous vous le confirmons, Monsieur le brigadier, non, le père Don Elias n’est pas un terroriste !»), ils sont remis en liberté. 

Les  travaux avaient débuté au col du Somport, près de la frontière française et ils se  poursuivirent jusqu’à Santiago. Les équipes se multipliaient. On commençait par flécher les croisements, les accès difficiles, les passages masqués, puis on traçait des repères plus rapprochés et réguliers. Le résultat fut spectaculaire. En quelques années, près de huit cents kilomètres de chemins furent nettoyés, restaurés, balisés de flèches jaunes

Arrivèrent alors les premiers jacquets. D’abord quelques pèlerins esseulés, suivis de quelques autres, enfin des groupes, sacs aux dos. Ils furent les premiers à annoncer la nouvelle au monde. La rumeur courut les rues, elle se répandit. Oui, le Camino était de retour, comme au cours des siècles. Depuis les vallées de Charlemagne, jusqu’aux plaines de Navarre, de la ville du Cid aux châteaux templiers, le Camino de paix, de guérison, de renaissance à la vie, était de retour, paisible et lumineux. Et c’est un homme seul, sans argent ni soutien, qui lui avait rendu son âme. 

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Don Elias Valina Sampedro est décédé en 1989. Il repose à O Cebreiro, dans la petite église de Santa Maria la Real, à proximité du calice sacré, relique du miracle eucharistique du XVII ° siècle.

Pour l’année 2022,  l’Oficina Peregrino a enregistré l’arrivée de 438 600 pèlerins sur Compostelle.  

Michel Gout

Sources :

Confraternity of St James 01/21 – Camino Ways 07/21 – Camino Travel Center 2015 – IRJ lettre 118 –  Oficina de Acogida al peregrino –

Credencial

Guides des voies jacquaires

Chemin de prière

Guides spirituels

LA lettre

de webcompostella

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