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Un accueillant témoigne

13 août 2022 | En chemin, Témoignages

 « Et je ne me souviendrai plus de leurs iniquités….. »*

J’étais de service à l’accueil à Compostelle et l’après midi, on recevait un groupe de pèlerins. Ils étaient six à huit, et chacun d’entre eux, à tour de rôle, nous faisait part de ce qu’il avait vécu sur le chemin : des merveilles, des difficultés, etc. Parmi eux, il y avait un homme avec son sac encore sur le dos. Quand c’est son tour de parler, il marque un long temps de pause. Ses yeux parcourent le groupe rassemblé. On sent de l’hésitation, puis, la voix nouée, il se met à raconter. 

La Cruz de Ferro
La Cruz de Ferro

Je suis québécois, je n’ai jamais fréquenté l’église. J’ai été baptisé à ma naissance, un point c’est tout.  Mon enfance a été trahie. Mon père était pédophile ; il est décédé aujourd’hui. Depuis l’enfance, aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours haï mon père. Toute ma vie, même après sa mort, j’avais, au fond de moi, une immense colère, de la fureur contre lui. Cette haine, elle a miné ma vie jusqu’à ces derniers jours. Plusieurs fois, j’ai essayé de m’en débarrasser, mais en vain. Enfant, heureusement, j’avais été protégé de lui par une grand-tante que j’aimais beaucoup. Elle était religieuse, supérieure d’une communauté. Son souvenir, c’était le seul lien que j’avais gardé avec l’église. 

Et puis, il y a quelque temps, j’ai entendu parler de Compostelle, et petit à petit, j’ai senti comme un appel à faire la route de St Jacques. Donc, je prends l’avion, j’arrive au Puy, je charge mon sac. Vingt kilos ! Je me mets en route et, tout de suite, je me mets à regretter d’être parti : « Mais qu’est ce que tu fiches là, avec ce barda, perdu au milieu de nulle part ? » Mais sans cesse, l’image de ma grand-tante revenait et bizarrement, je persévérais. Ce qui était étonnant, c’était que plus j’avançais, plus mon sac me paraissait léger et ma haine régressait.  

Déposer un caillou sur le Chemin
Le pèlerin dépose un caillou

Mon père était charpentier. Il y a une dizaine de jours, je suis arrivé à la « Cruz de Ferro ». Au pied de la croix et autour du tas de cailloux, il y avait du monde. Chacun déposait une pierre qu’il avait portée pendant la marche, comme le symbole d’une souffrance, d’une peine, qu’il voulait abandonner. Je ne connaissais pas la tradition et je n’avais pas pris de pierre, mais j’aurais bien voulu déposer au pied de la croix ce poids de haine qui me consumait. Comme je n’avais pas de caillou, je me suis baissé pour en attraper un et le mettre dans mon sac. Il  y avait des gens tout autour et on ne distinguait pas bien le sol ; dans un élan, je me penche, je tends la main, et lorsque je l’ouvre, ce n’est pas un caillou que j’ai dans la main mais un clou, un énorme clou de charpentier, exactement le même que ceux que mon père utilisait dans son atelier.  A la seconde où j’ai vu ce clou, je me suis effondré. J’étais bouleversé car d’un seul coup, toute la haine envers mon père avait disparu et une impression de légèreté incroyable m’avait envahi. J’ai su, à ce moment précis, que j’étais guéri. 

Le soir, à l’étape, j’ai pensé à ma mère au Québec et, comme je le fais souvent, je lui ai passé un coup de fil. Elle est hospitalisée, atteinte d’Alzheimer; elle ne parle plus depuis longtemps mais je l’appelle quand même, ça lui fait plaisir. Au téléphone, je lui explique lentement ce que je viens de vivre. C’est alors qu’elle retrouve sa lucidité et se met à parler. Interloqué, je l’entends dire ces mots : « Sache que ton père, aujourd’hui, est pardonné ». 

Lorsque l’homme a fini, un grand silence se fait dans le groupe. Silence empreint de gravité et aussi de respect, pour cet homme qui a eu le courage de témoigner. Nous restons un moment sous le coup de l’émotion. 

Mais l’histoire ne s’arrête pas là…

Le lendemain, je me rends sur la Place de l’Obradoiro. J’étais de service pour la « Visite spirituelle ». D’habitude, il y a toujours un groupe de six à dix pèlerins qui se présente pour la visite des lieux autour de la cathédrale. Ce jour-là, en revanche, personne, à part un homme d’une cinquantaine d’années. C’était six heures. On attend un moment l’arrivée d’autres pèlerins, mais en vain. Comme il se retrouvait seul, il me dit : « écoute, tu ne vas pas t’embêter à faire la visite pour moi tout seul ! ». En riant, je lui réponds qu’il est là et, en qu’en conséquence, on va quand même faire la visite. C’était l’année sainte, année de la miséricorde. 

Je commence, comme on le fait toujours, par la façade Nord, puis la façade Est. Devant le côté Est, on a coutume de s’asseoir sur les marches du grand escalier, au pied du mur des Bénédictines. Pour l’occasion de l’année sainte, la « Porte sainte » était ouverte. Cet homme ne connaissait rien des choses de l’église. Je me mets donc à lui expliquer ce qu’est une année sainte, qu’est ce que la miséricorde, pourquoi la Porte est ouverte et je lui parle de la force du pardon. A ce propos, je lui raconte l’histoire du québécois de la veille. Au fur et à mesure du récit, son visage s’assombrit, puis se fige. Quand j’ai fini, contre toute attente, le voilà qui s’affale et, le visage baigné de larmes, la voix cassée par l’émotion, il m’avoue : « L’histoire que tu me racontes, c’est mon histoire ! Mais moi, je ne suis pas le fils, mais je suis le père ; j’ai fait toute cette route pour demander pardon ». Ma surprise est totale. L’homme est là, devant moi, secoué, pitoyable, cherchant une aide, un appui. Que lui répondre ? Je le regarde et j’essaie de lui expliquer, en peu de mots ce qu’est la confession : « Ecoute, tu peux demander pardon ; tu vois, ces sortes de placards le long des travées de l’église. Là dedans, il y a des confesseurs. Tu entres là, un prêtre t’attend ; tu déposes toute ta m…. en confession et tu recevras le pardon de Dieu ». Il me répond : « Oui ; j’ai entendu dire qu’il  existe aussi une liste des abbayes en France qui accueillent des pèlerins de retour de Santiago » (cette liste avait été faite par Léonard, du gite d’Estaing), « dis-moi quelle est l’abbaye la plus proche de chez moi. Dès mon arrivée, j’irai et je me confesserai ». 

Lorsque je regagne l’accueil, moi aussi gagné par l’émotion, je repense à la synchronicité des évènements dont je viens d’être le témoin, à la venue tout à fait improbable d’un seul marcheur pour la visite, aux coïncidences de ces deux rencontres. Je songe surtout à la bonté de Dieu qui vient, en peu de temps, de délivrer deux pèlerins : l’un de son lourd fardeau de haine, l’autre, de celui, encore plus lourd, de sa culpabilité.  Je tiens à partager ce témoignage avec les lecteurs de Webcompostella .

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Michel Gout

Témoignage de René de la Portalière

* Esaï 43-25

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